LA GUERRE DES COQUILLES (Sentier vers St. Jacques)
"Si le chemin vient à te manquer ... fais le, je suis avec toi !"
Jean Berty nous raconte aujourd'hui comment Serge Avrilleau a conduit pendant trente ans, avec obstination et détermination, un projet audacieux consistant à doter la Vallée de l'Isle, en Périgord, d'un sentier de randonnée pédestre capable de conduire les adeptes de la marche et de la découverte le long de ce cours d'eau au charme bucolique (à l'origine, de cette folle entreprise de sa source à son embouchure), et finalement de Vèzelay à Saint-Jacques-de-Compostelle. Est-ce tâche facile ? Certes non ! En effet, ce serait sans compter avec les éléments déchaînés de la Nature, les aléas de la vie et avec les inévitables détracteurs et autres empêcheurs de marcher en rond qui attendent, au coin du bois, les naïfs bénévoles et les innocents amateurs de promenades en milieu naturel.
Invitation au voyage.
Dès qu'il lui a été possible de comprendre et de s'intéresser à l'Histoire de la Vallée de l'Isle en général et de Saint-Astier, sa ville natale, en particulier, Serge a voulu savoir quel itinéraire avaient emprunté ou créé les Romains, premiers grands traceurs de routes. Il s'est alors rendu compte, contrairement à l'opinion répandue localement, mais conformément à l'avis des archéologues et historiens du Périgord, qu'aucun sentier de randonnée balisé ne parcourait la vallée de l'Isle entre Périgueux et Montpon, qu'une voie romaine parcourait les coteaux de la rive droite et que la route nationale qui longe actuellement la rive gauche de la rivière est de création récente. La voie romaine de Burdigala (Bordeaux) à Vesunna (Périgueux) passait au sommet des collines qui dominent la rive droite, sans doute pour éviter les inondations et l'humidité du thalweg. Au 9ème siècle, les normands remontèrent l'Isle et détruisirent le monastère de Saint-Astier, mais l'opinion généralisée selon laquelle ils auraient navigué sur la rivière torrentueuse avec leurs drakkars reste à démontrer.
On sait qu'Asterius est né dans une famille d'origine romaine installée sur l'oppidum de Puy-de-Pont, près de Neuvic (novum vicus), et qu'en suivant la voie romaine, il est venu créer un ermitage dans une grotte sauvage dotée d'une source, nommée Font Boni, oû se trouve actuellement "La Chapelle des Bois", au lieudit "Les Chapelles", et que la première église "Saint-Pierre" se trouve aussi à cet endroit. La réputation des miracles de l'anachorète et la fondation de son monastère sont à l'origine de la ville de Saint-Astier. S'agissant du premier itinéraire identifié dans cette région, Serge a toujours pensé que ce chemin méritait d'être aménagé et entretenu pour les amateurs d'histoire locale et pour les promeneurs avides de calme et de sérénité, dans cette nature heureusement préservée depuis deux mille ans.
-1974- Aussi, quand le premier Syndicat d'Initiative de Saint-Astier fut créé, ainsi que son "Musée Edouard Nogué", rue de la Fontaine, en hommage au chanoine astérien qui fut le premier, seul et brillant historien de cette bourgade, Serge a immédiatement entrepris la création de sentiers de randonnée pédestre en utilisant ce petit bout de chemin historique. Les premiers présidents du SI furent Michel Lacombe et le regretté Alain Ricard qui encouragèrent Serge et son épouse sans réserve dans cette entreprise, avec l'aide de toute l'équipe des fondateurs: les Testut, les Launay, les Dugué, les Touati, les Pasquet, les Campo, les Chauz, et aussi Souiallert, Bargès, Terrassier, Besnard, Alépée, Raymond, Deschamps, Lacoeuille, Couret etc... avec les encouragements de Raymond Dupuy, Maire de Saint-Astier et parent de l'abbé Nogué.
Dès la création du SI de St.Astier, une Entente des SI de la Vallée de l'Isle fut crée sous l'impulsion d'Yves Guéna, Jean Nectoux, Merly, Joussely, Galet. Serge fut aussitôt délégué par l'Entente pour contacter M. Amat, alors en charge des sentiers de randonnée de la Dordogne et le secrétaire de l'Entente: Jean Louis Galet, en rapport lui-même avec la Préfecture, favorable à ces projets: au début un sentier de petite randonnée (PR) reliant le GR36 et le GR6 en suivant la vallée de l'Isle, rive droite, de Chancelade à Montpon et de là vers le sud (Ste Foy-la-Grande), premier sentier officiel dans cette portion de département:
ZONE ABANDONNEE: AUCUN SENTIER EN 1974.
-1975- Le sentier de randonnée de la Vallée-de-L'Isle verra tout de suite le jour grace à la participation de tous les syndicats d'initiative dont il traverse le territoire: Périgueux, Saint-Astier, Neuvic, Mussidan, Montpon. Chacun d'eux participa à la recherche sur carte et sur place, au nettoyage et au balisage. Travaux facilités par la nomination de Serge à la responsabilité des Sentiers de Petite Randonnée de la Dordogne. Déjà un autre projet est annoncé: balisage de la "vieille route paysanne des marchés" qui relie Saint-Astier à Grignols, depuis une haute antiquité (10km).
-1976- L'organisation de tous ces sentiers déclanche l'anthousiasme général dans la région et des promenades sont organisées dans une ambiance chaleureuse: c'est ainsi qu'une séance de balisage partant de St.Astier aboutit au camping de Neuvic et que l'aller-retour de St.Astier à Grignols compte 85 personnes. On invente une série de rendez-vous rituels, par exemple à l'occasion de chaque consultation électorale: "Votez et marchez!"
Le couple Caron, hollandais rencontrés à La Roche Beaulieu (route goudronnée).
-1977- Dès le début de l'année le sentier de la Vallée-de-l'Isle est agréé comme sentier de Grande Randonnée par la Fédération nationale et devient le GR646. Sa longueur est de 130km des sources de l'Isle à Ste Foy-la-Grande: il faut refaire tout le balisage (passer du jaune au blanc/rouge), prévoir la signalisation et la rédaction d'un topo-guide. Serge crée la revue "Bipède".
-1978- Malgré deux déménagements et sa nomination à la tête de la Sté Franc. d'Etude des Souterrains ( à Vèzelay ! ), Serge continue sa quête pour l'aménagement des sentiers de randonnée périgourdins; il est heureusement bien aidé par le SI de St.Astier.
-1979- Le Comité Départemental de la Randonnée Pédestre (M. Amat) confie au SI de St.Astier la responsabilité d'un tronçon du GR646 sur le territoire de son canton. Il en est de même pour les autres SI et cette organisation fonctionne à merveille. L'ouvrage de Louis Perche mentionne déjà les circuits pédestres des environs de St.Astier, les fameuses "marguerites".
-1980 - 1981- Deux années d'entretien des sentiers, toujours sans subventions.
Une anglaise rencontrée à Annesse-et-Beaulieu.
-1982- M. Eyssartier succède à M.Amat à la tête des sentiers de la Dordogne. Une difficulté survient sur le GR dans la commune de St.Astier: une propriété agricole d'élevage est impossible à traverser, d'autant que les VTT et les cavaliers commencent à emprunter le GR. Il faut inventer un contournement en empruntant une route goudronnée, dommage! Un hôtel-restaurant ne pourra plus accueillir les randonneurs de passage. Les Amis de la Montagne (de Périgueux), sous l'impulsion notamment d'Hélène Lestang, organisent de fréquentes promenades pédestres qui améliorent encore la notoriété des sentiers de la Vallée de l'Isle. Mais une forte tempête (déjà) abat quelques arbres sur les chemins; les dégâts sont vite réparés grâce aux bénévoles. Le Comité Départemental souhaiterait encourager la création de gîtes d'étape, mais ce projet ne verra pas le jour.
-1983- Le Comité encourage la réparation des dégâts naturels par le remboursement des déplacements et de la peinture. Serge est nommé Baliseur Officiel de la Fédération. Deux rendez-vous pédestres sont organisés: pour le 1er Mai et l'Ascension qui rassemblent une grosse affluence.
-1984- 1985- Le Comité Départemental déplore l'insuffisance du nombre de baliseurs et de gîtes d'étape et cherche des représentants locaux supplémentaires pour le Département de la Dordogne. Trois promenades pédestres sont organisées au départ de St.Astier: Léguillac, Razac, Neuvic.
Michel Lauverjat (de Bourges) rencontré à Annesse.
-1991- L'office du Tourisme de la Dordogne édite un guide des sentiers de randonnée où figure le GR646, grâce au travail de Jean-Luc Défarge. Michel Gardère, journaliste à Agen, agnostique, part à pied pour St Jacques de Compostelle et relate ses découvertes à son ami Serge. Son patron Jean François Kahn écrira à ce sujet une réflexion de bon sens: "Chaque homme empruntant le chemin de St Jacques a des raisons différentes d'aligner son pas. Il y va de ce mystère qu'on devine derrière toutes les âmes". Michel éditera un livre: "Ultreïa!".
La Font de l'Auche, sur le Sentier Mérovingien (Léguillac).
-1992- Le guide des sentiers de la Dordogne renouvelle la description du GR646 et y ajoute "Le Sentier Mérovingien" et "Le Sentier du Prieuré de La Faye" créés par Serge à Léguillac, avec l'aide de son ami Emmanuel Courtoux, depuis disparu. Un quotidien local en rendra compte le 20 juin (La Dordogne Libre).
L'un des plus beaux passages du GR de Saint-Jacques:
Le Sentier Mérovingien à Léguillac de l'Auche.
-1995- Attiré irrésistiblement par le pèlerinage de Santiago, Serge adhère à l'Association des Amis de Saint-Jacques de la Dordogne. La présidente Madame Aufray rédige une recommandation pour lui, son épouse et les époux Fromont pour partir à St.Jacques (en voiture) où ils se rendent au mois de mai en s'arrêtant à toutes les étapes officielles. L'émerveillement est total. Désormais Serge fera tout pour relier les sentiers de la Dordogne à ceux du Camino Francès. C'est donc avec enthousiasme qu'il adhère au projet de la Fédération des sentiers et de celle des Amis de St.Jacques de créer un "Sentier Jacquaire" parallèle au chemin officiel qui a été transformé en routes nationales encombrées de véhicules dangereux et bruyants.
Abandonner les routes goudronnées et suivre les sentiers pédestres !
L'entreprise est de dimension européenne puisqu'il s'agit de suivre la "Voie de Vèzelay" l'un des 4 chemins jacquaires traditionnels français, comme il a été fait avec le GR65 qui suit au plus près la "Voie du Puy en Velay". Ces grands chemins drainent les pèlerins des pays européens situés au Nord et à l'Est de la France. La confirmation est apportée de l'un des passages de la voie officielle de Vèzelay par la vallée de l'Isle depuis le Moyen Age et encore aujourd'hui de nombreux pèlerins suivent cette voie, par une route plus calme que celle de Bergerac. C'est ainsi que Serge et son épouse ont la chance de recueillir, pour quelques heures, le 26 mai, Robert Leemans, pèlerin belge de passage à Saint-Astier.
Handicapé des deux hanches il avait fait le voeu de partir à pied à Saint Jacques si ses opérations réussissaient. Arrivé à Santiago, il leur écrira une carte leur annonçant qu'il partait .... pour Rome ! Le 9 novembre de cette année un protocole est signé à Paris pour l'élaboration du GR654 entre deux associations jacquaires nationales et la Fédération de Randonnée Pédestre, chargées de créer ensemble un sentier reliant Vèzelay aux Pyrénées, et son raccordement avec les sentiers suisses, belges, allemands, italiens, espagnols et britanniques. Ce protocole est signé par Maurice Bruzek et René de la Coste-Messelière.
-1996- Les Amis de Saint Jacques de la Dordogne organisent des randonnées sur les chemins de la vallée de l'Isle (GR646) pour envisager la création d'un futur sentier jacquaire (GR654). Serge et ses collaborateurs (en particulier Philippe Lecamus) sont enthousiastes et travaillent fébrilement à ce projet. Ils balisent en blanc et rouge l'ancien PR jaune.
-1997- Serge est nommé Vice-Président de l'Association des Amis de Saint-Jacques de la Dordogne, ainsi que Josianne Chaume de Bergerac. Le 4 mai une grande randonnée est organisée de Chancelade à Saint-Astier, pour vérifier et compléter le balisage du futur GR jacquaire. Le 4 juin il se rend à Toulouse pour représenter l'association périgourdine lors d'une réunion de l'Association de Coopération inter-régionale des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle où l'association jacquaire de la Dordogne s'engage à aménager la traversée de la Dordogne par ce sentier, au plus près de la route traditionnelle, de St.Saud à Monbazillac. En Dordogne la Délégation départementale voit arriver un nouveau président: Jean Marie Archambaud qui prend acte du projet jacquaire; il l'approuve et indique son désaccord avec l'association jacquaire de la Dordogne qui préfèrerait voir le futur sentier jacquaire traverser le Périgord Noir. Mais la majorité des participants à l'Assemblée Générale tenue à Périgueux pense que le Sarladais bénéficie dejà d'un tourisme favorisé alors que la vallée de l'Isle souffre au contraire d'une désaffection chronique. Le tracé proposé correspond d'ailleurs beaucoup mieux à la route traditionnelle puisqu'il passe près de Périgueux et traverse Bergerac. De plus le raccord avec la Haute-Vienne au nord et avec le Lot-et-Garonne au sud est indispensable, conformément aux engagements du protocope de Paris.
Jean Defert, de Ligny -89- à Annesse, en Périgord, avec sa petite ânesse Canelle.
Au Comité Départemental de la Randonnée Pédestre, Serge s'occupe de l'assurance des randonneurs.Tout naturellement Serge et Philippe impliquent l'association jacquaire et l'association de randonnée dans le même projet commun. Serge est persuadé que sa double qualité de baliseur officiel et de chercheur en matière de pèlerinage jacquaire ne peut que rendre service à l'entreprise. J.M. Archambeaud a vérifié que Serge est bien à l'origine du GR646 qui va devenir 654. Au Comité les responsabilités sont réparties géographiquement et le projet prend forme, les participants sont nombreux et efficaces. Les personnalités parisiennes concernées se déplaceront à Périgueux. Toutefois des réflexions au sein de l'association jacquaire de la Dordogne laissent entendre que la démarche des pèlerins de Saint-Jacques n'aurait rien à voir avec celle des randonneurs pédestres, querelle naissante qui semble inappropriée pour les randonneurs pédestres périgourdins qui contestent cette opinion. L'association jacquaire approuve cependant le tracé proposé par Serge: Vallée de l'Isle jusqu'à Saint-Astier, Grignols, Villamblard, Bergerac et Monbazillac. Vers la fin de cette année là la présidence de l'association jacquaire va changer. L'année 1997 ne se terminera pas sans que l'orage menace dans le ciel chargé du périgord jacquaire et la foudre tombera sur les épaules de Serge et Philippe lors d'une réunion mémorable où, en bon gaulois, ils vont voir le ciel leur tomber sur la tête! Ils sont déclarés "baliseurs" ce qui semble être, dans la bouche des accusateurs, une tare impardonnable, absolument incompatible avec la qualité de "pèlerin". Désormais, le projet de "sentier de St.Jacques" (GR654) devra être réalisé par l'association de randonneurs pédestres seuls, l'association jacquaire se désolidarise de cette affaire.
-1998- Au début de cette année, les courageux baliseurs de sentiers de randonnée ont la joie d'assister au départ du premier pèlerin officiel sur le GR654. Après une bénédiction à l'église, René Herfroy part de Saint-Astier avec sa petite jument Aïda qui le conduira jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle, en passant par Grignols, Villamblard, Bergerac, Monbazillac, La Romieu, Roncevaux, Puente-la-Reina, Leon, Burgos etc ..
Désormais, le GR654 est opérationnel, il continuera d'exister; il conduira jusqu'à Santiago les marcheurs de toutes nationalités, croyants ou non, le long d'une quête qui leur sera personnelle sans que personne ne leur demande quelque compte que ce soit, même si ce sentier rejoint provisoirement celui du Puy (le GR65) faute de sentiers en Gironde et dans les Landes; même si la Fédération de Randonnée Pédestre doit assumer seule son entretien et la publication de son topo-guide; même enfin si l'association jacquaire croit devoir préconiser de l'éviter. Le 17 Janvier, Serge est poussé à la démission de l'association jacquaire. D'autres le suivront.
Léa Graf, suissesse, à Gravelle. Elle a traversé l'Allemagne, la France et l'Espagne !
-1999- Serge publie, au début de l'année, dans le Journal du Périgord un article confirmant l'authenticité de l'étape de Saint-Astier sur la Voie de Vèzelay, que le GR654 emprunte d'ailleurs exactement dans cette commune. L'association jacquaire créera elle-aussi son chemin qui n'emprunte pas toujours la voie authentique. Un premier topo-guide du GR654 paraît avec une préface de Maurice Bruzek Président de la Fédération de Randonnée Pédestre qui en dit long sur la possibilitété de chacun d'emprunter librement le sentier ou le chemin de son choix pour la motivation qui est la sienne propre. Et à la fin de l'année, c'est l'énorme tempête du siècle ! Les dégâts sur les sentiers sont considérables; tous les marcheurs retroussent leurs manches, la Fédération les encourage et, finalement, les sentiers retrouvent leur continuité au cours de l'année 2000. Après le décès de M. Archambeaud le Comité Départemental voit l'arrivée d'une nouvelle présidente en la personne de la très dynamique et très efficace Danièle Legrand, bien secondée par des gens qui assument leurs responsabilités et s'engagent à poursuivre l'oeuvre entreprise.
-2001- Un excellent livre de Christian Bélingard paraît qui décrit le nouveau sentier jacquaire de Vèzelay. La FFRP finance un très beau pont pour la traversée du ruisseau de Jaure. Le sentier est prêt. Il aura fallu 30 ans.
-2002 - Inauguration officielle du GR654 de la Dordogne le 1er juillet à Chancelade.
-2004 - Enfin la FFRP édite le Topo-Guide de notre GR654 qui va conduire les pèlerins sur ce beau et calme sentier, de Vèzelay à Montréal-du-Gers. 272 pages. Ils ont simplement oublié de citer ceux qui ont oeuvré à sa réalisation. Dommage!
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